« Un frère » de David Thomas : un regard nuancé sur le lien fraternel face à la schizophrénie

Salué par les sélections du Goncourt et du Femina, le récit de David Thomas se distingue comme l’un des romans-événements de la rentrée littéraire. L’auteur y rend hommage à son frère Édouard, décédé en 2022, après avoir longtemps hésité à écrire ce livre, craignant d’ajouter une voix de plus au corpus déjà abondant sur la maladie mentale.

Contexte et réception

Le roman s’impose comme une étape majeure de la littérature française contemporaine, en explorant le lien fraternel au sein d’un parcours marqué par la schizophrénie.

Genèse et hésitations

Cette réticence tenait d’abord à la présence du frère : « Je ne pouvais pas écrire ce roman car mon frère était vivant et il n’aurait très probablement pas supporté que je raconte tout ça. Et puis aussi parce que moi, j’étais dedans », confie David Thomas dans le podcast QWERTZ du 24 septembre.

Le tournant après le deuil et la reconnaissance

Le déclic survient après la mort d’Édouard et l’obtention du Prix Goncourt de la nouvelle en 2023 grâce au recueil « Partout les autres ». Au sortir d’un an de deuil, cette distinction agit comme une lumière. L’idée d’un nouveau recueil de nouvelles s’efface alors et le roman s’impose. Habitué à la fiction, l’auteur se confronte pour la première fois à l’autofiction, assumant un « je » autobiographique.

« Rien n’est plus dur pour moi que de m’écrire », admet-il dans « Un frère ». La force du livre réside dans sa concision: chaque scène va droit au but, héritage de l’expérience de nouvelliste de David Thomas.

Retrouver le frère perdu

Le roman plonge dans la vie d’Édouard, mais aussi dans celle de David Thomas, indissociablement liée à la maladie qui l’affecte.

« J’ai perdu deux fois mon frère. La première perte fut un éloignement interminable de presque quarante ans durant lesquels la maladie mentale me privera, chaque jour un peu plus, de mon premier écho. » Extrait de « Un frère » de David Thomas

Le 21 juin 2022, l’auteur découvre le corps sans vie de son frère dans son appartement. Étendu sur son lit, Édouard est victime d’un AVC. Face à l’image insoutenable de son frère assimilié à la mort, l’écriture devient une quête pour retrouver l’homme qu’il fut. « J’avais besoin de retrouver mon frère. Alors je suis remonté, j’ai marché jusqu’à la source », explique-t-il.

Cette source, c’est l’enfant, l’adolescent et le jeune homme qu’Édouard fut, avant que la schizophrénie ne le submerge.

La réalité crue de la maladie

David Thomas refuse tout romanesque ou romantique à propos de la schizophrénie. La maladie mentale apparaît comme noire, âpre et rude. « Ce qu’il y avait d’insupportable dans la mort de mon frère, ce n’était pas sa mort, c’était sa vie », écrit-il. Une vie qu’Édouard a dû combattre chaque jour.

L’auteur dénonce sans détour les failles du système médical et le manque de moyens qui laisse les familles démunies face à des équipes hospitalières qui tâtonnent. Il évoque aussi le rôle dévastateur du cannabis sur les psychoses, et ne craint pas de montrer la poussière et la saleté qui peuvent entourer le quotidien d’un malade : « Ce n’est pas l’appartement de mon frère qui est sale, c’est la maladie qui est dégueulasse. »

Un portrait nuancé, traversé de poésie

Malgré la dureté du sujet, l’ouvrage trace un portrait nuancé du frère : fragile et parfois violent, mais aussi brillant enfant, audacieux, passionné de musique et courageux. Un « lutteur » qui a affronté la maladie tout au long de sa vie.

Au fil de l’écriture, l’auteur lit et met en parallèle la poésie russe qu’il découvre alors — Anna Akhmatova, Ossip Mandelstam, Joseph Brodsky — des voix qui, comme Édouard, se heurtent à une tyrannie intérieure et à une réalité complexe. « J’en suis venu à la conclusion que mon frère est un poème, non pas un poète, car si le poète peut retranscrire consciemment cette autre réalité, le malade, lui, en est incapable », confie David Thomas.

Sans pathos, « Un frère » apparaît comme un témoignage puissant d’amour et de résilience, rédigé avec une sincérité rare.

David Thomas, « Un frère », éditions de l’Olivier, août 2025.